« Une approche durable de l’investissement est synonyme de rendements plus élevés » affirment Jean-Rémy Roussel, Managing Partner de CVC, et Chloë Sanders, Directrice ESG de CVC.
CVC Capital Partners, qui détient plus de 80 milliards de dollars sous gestion dans le Private Equity et le crédit, intègre pleinement les enjeux ESG dans sa démarche de création de valeur pour l’ensemble de ses investissements. Jean-Rémy Roussel, Managing Partner et Responsable du pôle private equity, et Chloe Sanders, Directrice ESG, nous exposent la démarche ESG de CVC dans ses investissements.
Comment CVC intègre-t-il les enjeux ESG dans son plan de création de valeur, et pourquoi ?
Jean-Rémy Roussel : Lorsque nous investissons dans une société dans une optique de création de valeur, nous ne nous intéressons pas seulement aux facteurs les plus évidents tels que les flux de trésorerie, le chiffre d’affaires et la rentabilité. De fait, nous examinons également les facteurs plus fondamentaux de création de valeur en nous posant la question de savoir comment gagner des parts de marché à travers une gestion durable et responsable. Les questions environnementales, sociales et de gouvernance jouent un rôle essentiel à cet égard.
Nous engageons le dialogue avec l’équipe dirigeante de la société pour savoir comment améliorer réellement les « moteurs fondamentaux de création de valeur » tout en prenant en compte les coûts. Vous pouvez gagner des parts de marché simplement en donnant satisfaction à vos clients, ce qui permet de les fidéliser et les dispose à recommander votre entreprise.
Nous avons identifié cinq leviers de création de valeur : le lieu de travail, la collectivité, le marché, l’environnement et la gouvernance. Certains de ces leviers n’amélioreront pas nécessairement votre rentabilité à court terme, mais ils seront déterminants à moyen et long terme. Vous avez peu de chances d’obtenir un prix plus élevé à l’heure de céder votre entreprise si vous vous êtes contentés de réduire les coûts ; vous devez améliorer les moteurs fondamentaux de création de valeur de l’entreprise.
Quelles sont les premières étapes de l’amélioration des moteurs fondamentaux de création de valeur ?
JRR : Lors de notre dialogue avec les équipes dirigeantes, nous commençons par nous intéresser au client – nous collectons des données sur la satisfaction des clients en nous intéressant tout particulièrement aux aspects sur lesquels nous sommes moins bien placés que nous concurrents. Si vous investissez dans une société qui pâtit de retours d’expérience négatifs de la clientèle et si cinq années plus tard, ce retour d’expérience est devenu positif, vous aurez très certainement gagné des parts de marché et créé de la valeur.
Nous interrogeons alors les employés en nous posant la question de savoir comment retenir les talents et améliorer l’engagement et la satisfaction des collaborateurs. Il est capital de comprendre leurs valeurs et leurs motivations et de les promouvoir. Nous nous intéresserons par exemple à l’engagement de la société envers la collectivité et pour l’environnement et nous l’encouragerons à mettre en œuvre des initiatives environnementales ainsi que des projets pour la collectivité, pour la formation et l’éducation. Vos employés sont plus motivés si vous appliquez les valeurs fondamentales auxquelles vous souhaitez associer votre image.
S’agissant des changements climatiques et des questions environnementales, il est possible d’obtenir des données très précises sur la consommation actuelle de ressources naturelles et l’empreinte carbone d’une entreprise. Ces données serviront de base pour convenir avec cette entreprise des améliorations qu’elle entend apporter et de la voie à suivre pour y parvenir. Si vous parvenez à suivre cette démarche tout en réduisant vos coûts à long terme et en améliorant la qualité de votre produit ou de votre prestation, alors vous êtes également en mesure d’améliorer fortement la satisfaction de vos clients et d’avoir un impact environnemental.
De manière générale, la bonne gouvernance consiste à donner la priorité aux règles d’engagement et à veiller à bien connaître et à bien appliquer vos pratiques professionnelles, votre éthique et votre déontologie. Tout cela n’est qu’une affaire de bon sens. De fait, les mérites de cette démarche sont absolument incontestables puisqu’elle réduit les risques pour la société et améliore ses résultats financiers. C’est aussi simple que cela.
Les stratégies ESG s’inscrivent sur le long terme tandis que la plupart des investissements en actions privés sont détenus pendant des périodes plus brèves, généralement de quatre à cinq ans. Comment concilier les deux ?
JRR : C’est une question qui nous est souvent posée par les équipes de direction. À long terme, et même à moyen terme, il ne fait pas de doute qu’il est préférable de disposer de produits de meilleure qualité, de salariés plus motivés et d’avoir un impact plus positif sur l’environnement. Certains dirigeants objectent parfois que les facteurs financiers à court terme rendent tout changement impossible, et je les invite à se détromper car cette démarche finira toujours par s’avérer payante. Il faut parfois envisager la satisfaction des clients à brève échéance, et cela ne nous semble pas malavisé, même si le retour sur investissement s’inscrit sur un horizon de 5 à 10 ans. Nous nous efforçons donc de jeter les bases d’une croissance et d’une création de valeur durables sur le long terme, appelées à perdurer longtemps après que nous serons sortis de cet investissement.
Or, si vous exposez clairement votre stratégie à long terme à vos employés et à vos clients et qu’ils font le constat que vous agissez avec intégrité, vous commencerez également à gagner leur confiance et leur loyauté. Il est capital pour l’équipe dirigeante de donner le ton.
Pouvez-vous donner l’exemple d’une entreprise du portefeuille qui a placé les enjeux ESG au cœur de la stratégie de création de valeur ?
Chloe Sanders : Une bonne illustration est donnée par Continental Foods, acteur phare du secteur agroalimentaire européen, qui a été acquis par CVC Fund V en 2013 et cédé l’année dernière à GBFoods. Pendant la période durant laquelle elle a fait partie de notre portefeuille, la société a fortement accru ses parts de marché. Cette performance résulte principalement des recettes plus savoureuses et plus saines adoptées par l’ensemble des marques du portefeuille européen de produits agroalimentaires de Continental, mais aussi de la priorité donnée à l’amélioration de l’efficience et de la durabilité des activités et de l’expérience client.
Une citation de Thomas Bittinger, Directeur général de Continental Foods, décrit bien son approche de la thématique ESG : « La stratégie commerciale doit toujours intégrer les questions environnementales, sociales et de gouvernance. De fait, les leviers que vous devez actionner pour améliorer la performance d’une entreprise sont les mêmes que ceux qui sont requis pour donner davantage la priorité aux enjeux ESG », affirme-t-il. « Une entreprise qui propose des produits d’excellence et dispose d’une organisation agile et efficiente se trouve en position de force sur un marché. Or, pour parvenir à une telle situation, l’ensemble des enjeux ESG, depuis la motivation des salariés jusqu’à l’efficacité énergétique, peuvent et doivent être pris en considération ».
Comment adaptez-vous votre démarche ESG aux différents types d’activités et de secteurs ?
JRR : Que vos clients soient des particuliers ou des entreprises, et que vous soyez une entreprise de biens ou de services, vous appliquez globalement les mêmes principes. Les principales mesures d’adaptation concernent les aspects opérationnels : il s’agit d’examiner tous les maillons de votre chaîne d’approvisionnement et de veiller à donner la priorité aux aspects les plus importants pour l’entreprise.
Il peut s’avérer nécessaire d’adapter la culture d’entreprise en fonction du pays, la notion de diversité n’ayant pas le même sens selon la culture locale. Il en va de même pour l’environnement et l’engagement envers la collectivité, qui peuvent être perçus de manière différente par les salariés et par les clients, alors même que les fondamentaux sont identiques. S’agissant de la publication de rapports et d’évaluation des progrès accomplis, il convient d’adapter les notations et les données mesurées, mais l’essentiel est de mesurer les facteurs fondamentaux pour l’entreprise tels que l’engagement des salariés ou l’impact environnemental afin de bien connaître votre point de départ et d’être en mesure de définir des objectifs d’amélioration. Si vous mesurez les facteurs ESG et que vous suivez leur évolution, vous avez la possibilité de les gérer.
Quels mécanismes avez-vous mis en place pour suivre l’évolution des aspects environnementaux, sociaux et de gouvernance au sein de votre portefeuille d’entreprises ?
JRR : Nous avons élaboré trois méthodologies. Tout d’abord, l’équipe opérationnelle intervient aux côtés des équipes d’investissement pour engager le dialogue avec l’équipe dirigeante. Nous leur donnons trois à six mois pour élaborer leur nouvelle stratégie d’entreprise en fixant de nouveaux objectifs financiers et pour élaborer un plan complet de création de valeur fondé sur une croissance durable et responsable. Par la suite, à chaque réunion du conseil d’administration, nous suivons les avancées par rapport aux objectifs.
Ensuite, nous avons défini une série d’indicateurs non financiers fondés sur des programmes externes qui permettent de mesurer les progrès accomplis sur des aspects tels que la satisfaction des clients et l’engagement des salariés, l’impact environnemental, les initiatives pour la collectivité, les politiques de lutte contre la corruption, etc. Pour les clients, nous nous intéressons aux Net Promoter Scores qui mesurent la volonté des clients de recommander aux autres un produit ou une prestation de l’entreprise. Quant aux salariés, nous leur adressons des questionnaires qui permettent très efficacement de mesurer les avancées. Supposez par exemple que vous vous portiez acquéreur d’une entreprise et que 70 % des salariés déclarent qu’ils ne recommanderaient pas à leurs amis d’y travailler. Toutefois, si vous retournez la situation de sorte que quelques années plus tard, 70 % d’entre eux déclarent qu’ils aiment leur travail au sein de cette entreprise, que leur rémunération est adéquate et qu’ils sont bien récompensés de leurs efforts, alors vous avez amélioré la situation de cette entreprise.
S’agissant des autres thématiques telles que les achats durables, l’environnement et l’éthique, une série d’organisations éminentes proposent des notations qui permettent de suivre les progrès accomplis par l’entreprise. Enfin, nous disposons de notre propre processus d’évaluation, qui consiste à collecter les rapports des entreprises et à demander à nos commissaires aux comptes externes d’effectuer des audits périodiques pour valider les réponses données.
Chloe Sanders : En ce qui concerne le processus d’évaluation interne, nous engageons le dialogue avec un grand nombre d’entreprises différentes issues d’un large éventail de secteurs d’activité. Certaines questions s’appliquent à l’ensemble des entreprises tandis que d’autres sont adaptées en fonction de notre interlocuteur. Il ne s’agit pas d’une formule uniforme.
Vous placez la satisfaction des clients au cœur de votre stratégie ESG. Pouvez-vous nous donner un exemple pratique ?
CS : Une bonne illustration de cette démarche est donnée par Sunrise Communications, l’opérateur suisse de télécommunications. Lorsque nous avons investi dans le marché complexe et difficile des télécommunications européennes en 2010, les clients de Sunrise étaient insatisfaits, notamment de la structure tarifaire en vigueur à l’époque.
Avec l’aide de CVC, Sunrise a radicalement changé l’expérience client en investissant dans un plan d’amélioration de la qualité et en innovant avec le lancement de forfaits et de grilles tarifaires différenciées. L’amélioration de l’expérience client globale nous a permis d’obtenir des niveaux de satisfaction beaucoup plus élevés et d’améliorer fortement la réputation et le positionnement de marque de la société. Parallèlement, pour garantir la satisfaction des attentes des salariés, nous avons mis en œuvre un programme complet d’engagement des salariés et conditionné le versement des primes de l’équipe dirigeante à des objectifs de satisfaction des clients et d’engagement des salariés.
Ces améliorations ont valu à Sunrise de remporter les prix du meilleur réseau téléphonique et du meilleur service client et de convaincre Roger Federer, champion du monde de tennis, de devenir ambassadeur de la marque. En dernière analyse, toutes ces initiatives se sont avérées fortement créatrices de valeur pour CVC avant l’introduction de Sunrise à la Bourse de Zurich en 2015.
Quelles sont les raisons qui vous incitent à placer ces questions au cœur de vos priorités ? Est-ce la pression des investisseurs institutionnels (LPs) ?
CS : J’engage le dialogue sur les questions environnementales, sociales et de gouvernance avec les investisseurs depuis près de 10 ans, et j’observe depuis quelque temps que ceux-ci sont de plus en plus sensibilisés à ces thématiques. Les investisseurs qui échangent avec nous sur les questions environnementales, sociales et de gouvernance sont très bien renseignés, et ils demandent des informations beaucoup plus détaillées sur les entreprises du portefeuille. Ils souhaitent mieux comprendre notre démarche globale face aux grands défis mondiaux. Cela est lié en grande partie aux obligations qu’ils se sont eux-mêmes imposées pour respecter leurs propres engagements ESG.
Nous sommes depuis longtemps signataires des Principes pour un Investissement Responsable (PRI) et plus récemment, nous sommes devenus membres du Comité Consultatif des PRI dédié au Capital-Investissement (PRI PEAC). À ce titre, nous participons activement aux échanges qui ont lieu sur ces questions au sein du secteur de la finance. Et, bien sûr, ces questions n’intéressent pas seulement nos investisseurs : les entreprises de notre portefeuille, leurs équipes dirigeantes, les associés et les salariés nous le réclament, justement parce que cette démarche correspond à leurs valeurs.
JRR : Désormais très sensibilisés à ces problématiques, les investisseurs posent des questions très précises, et ils souhaitent à présent confier leur argent à des gestionnaires d’investissements qui les placent au cœur de leurs priorités. Ils doivent eux-mêmes assumer leurs propres responsabilités et nous les encourageons à poser des questions et à s’impliquer. De plus, le capital-investissement exerce une influence considérable et notre secteur d’activité peut donc avoir un impact significatif. J’ai l’intime conviction que loin d’être incompatibles, les retours sur investissements et les enjeux ESG vont de pair pour créer de la valeur pour nos investisseurs.
Il convient bien sûr d’améliorer la performance financière, mais il est nécessaire de s’intéresser à l’ensemble des intrants pour que l’entreprise puisse créer de la valeur et générer un retour sur investissement élevé et partant, améliorer ses résultats financiers. Il me semble également utile de souligner que les questions ESG elles-mêmes constituent un secteur attrayant en plein développement. De même que nous le faisons pour les entreprises de notre portefeuille, beaucoup d’entreprises veulent mesurer leurs propres indicateurs ESG. C’est la raison pour laquelle nous avons récemment investi dans EcoVadis*, plateforme d’évaluation des performances RSE pour répondre à cette demande qui ne cesse de croître.
*EcoVadis, licorne française, est présente dans le Millésime Altaroc Odyssey 2021.